Certains agents de Pôle Emploi dénoncent une souffrance au travail comme cette salariée d’une soixantaine d’année qui ne souhaite pas témoigner à visage découvert par peur des représailles de sa direction. Elle revient de quatre mois de burnout et détaille dans cet article les raisons de sa souffrance au travail.
Pour cette salariée de 60 ans, déléguée syndicale CGT du bassin annécien, Pôle emploi ressemble à Orange avec la souffrance au travail qui s’accumule. Le seul recours des agents est de se mettre en arrêt maladie.
Des robots pour remplacer les agents à l’accueil
Elle craint dans un futur proche l’arrêt de l’accueil à Pôle emploi avec une disparition des services placement et indemnisation, les dossiers étant traités automatiquement par l’intelligence artificielle. Déjà, les dossiers passent par un prestataire à Bordeaux et si les chômeurs remplissent mal leur dossier, il y a des rejets de prise en charge que beaucoup ne contestent pas, ce qui arrange bien Pôle emploi. Pour le téléphone, un service d’intelligence artificielle assure déjà les réponses. Pôle emploi n’embauche plus à l’exception de quelques, CDD ou des services civiques qui n’ont pas le droit au chômage et sont payés 4,50 € la journée. Selon cette déléguée, «il manque au moins 30% des agents pour que le travail puisse se faire dans de bonnes conditions »
Une usine à gaz
Elle travaille à Pôle emploi depuis 2010, deux ans après la fusion entre l’ANPE et les Assedic. » À l’époque où il y avait encore une proximité avec les demandeurs d’emploi ». Elle avait candidaté dans ce travail pour le contact et l’aide aux personnes. Elle a découvert une véritable usine à gaz, genre, agence d’intérim, qui n’avait déjà plus rien à voir avec un accompagnement Elle découvre une machine de guerre qui ne veut pas faire du social mais du chiffre.
Baisser le taux de chômage au détriment des chômeurs
Faire baisser le chômage en casant les gens dans un cursus de formation qui durent quatre mois pour le chômeur, mais ne lui apportent rien. Elle dénonce même une prime d’intéressement à partir d’un pourcentage pour remplir ces formations payées à des prestataires privés avec comme objectif de les faire changer de catégorie et ainsi baisser le taux de chômage.
A son arrivée elle a fait du placement pendant cinq ans « mais c’est un poste trop fliqué ». Il y a plusieurs manières de faire ce métier. D’abord en assurant un portefeuille de suivi qui compte aujourd’hui 900 demandeurs d’emploi. Un portefeuille guidé pour les gens à l’aise, mais qui ont un besoin spécifique.
Un portefeuille renforcé qui concerne des gens un peu plus éloignés de l’emploi, avec des difficultés en informatique, qui ne savent pas se faire un CV et ne sont pas à l’aise dans des entretiens d’embauche.
Et enfin le portefeuille très spécifique, assuré en partenariat avec des communes et supervisé au plan national pour actionner des enveloppes distinctes avec des prestataires comme Cap Emploi ou les missions locales voire des psychologues spécialisés dans l’emploi avec une quarantaine de cas à suivre. Outre la spécificité des suivis, ce travail est très impliquant pour les conseillers : Le plus dur pour la salariée reste « les injonctions de la direction et la nécessité de rendre compte de tout ce vous faites dans l’heure ».
Elle a été ensuite conseillère d’indemnisation pendant quatre ans, un poste clé car c’est le nerf de la guerre. Le chômeur cherche avant tout à être indemnisé. C’est un poste intéressant mais une réglementation lourde et distincte pour les frontaliers.
Avec la nouvelle réglementation indemnisation passée en septembre dernier sous forme de décret, les chômeurs découvrent leur baisse d’indemnisation. Les conseillers se retrouvent en première ligne, et doivent encaisser leur réaction systématiquement négative. Concrètement les personnes les plus touchées sont les saisonniers, les intérimaires et tous les précaires qui restent quelques mois au chômage.
Des petits soldats de l’informatique.
Avec ses mandats syndicaux, elle laisse tomber cette activité mentalement très prégnante pour se charger des contacts avec les entreprises. Elle fait de l’accueil par secteur d’activité, comme le transport de personnes ou le secteur bois et est en lien avec des entreprises qui déposent des offres et négocient des aides à l’embauche. Elle adore le contact et déplore que côté demandeur d’emploi l’accueil ne se fasse plus que le matin et sur rendez-vous.
Les demandeurs d’emploi ont été éduqués à être autonome. Aujourd’hui, les demandes d’emploi se font de matière dématérialisé, via un mail à leur conseiller placement qui renvoie le mail au conseiller indemnisation. Depuis 2014 et la dématérialisation, « on croule sous des versions informatiques qui plantent nos outils alors qu’elles sont faites pour alléger notre quotidien, la multiplication fait que c’est très lourd. Mais le plus grave c’est que nous devons être au service de cet outil, en cochant la bonne case en permanence » se désole-t-elle en déplorant devenir « des petits soldats de l’informatique, avec les injonctions gouvernementales, régionales, territoriales et de l’agence. Les agents sont les derniers maillons la chaîne ; plombés par ces injonctions, car s’ils ne les suivent pas ils sont convoqués par la direction pour se justifier » insiste-t-elle.
Depuis le confinement, la volonté est de réduire les agences. L’agence d’Annemasse a été regroupée avec Ville-la-Grand. Une politique facilitée par le télétravail, car tous les agents sont désormais dotés d’un ordinateur et d’un téléphone : « autant d’unités centrales, autant d’agences en moins » remarque-t-elle. En cas de maladie, personne n’est remplacé et les agents restant assurent tout le travail : « On nous met à l’astreinte téléphonique, ce qui nous oblige parfois de modifier nos rendez-vous avec les entreprises. Ainsi les chefs d’entreprise ne nous prennent pas pour des gens sérieux » se plaint celle qui au bout de douze ans d’ancienneté gagne 1 600€ net par mois et doit faire des ménages en complément pour vivre correctement ici en Haute-Savoie.

Olivier Dentand
Ancien manager pendant vingt ans à pôle emploi, Olivier Dentand a démissionné de Pôle Emploi après avoir été nommé au service de lutte contre la fraude
Il ne supportait plus les missions de ce poste et a opté pour un autre projet professionnel pour devenir inspecteur du travail
Quelle est votre carrière à Pôle Emploi ?
J’avais une formation initiale juridique et j’ai commencé en 1997 comme technicien en contentieux des Assedic. Ensuite, j’ai bénéficié d’un congé individuel de formation où j’ai passé l’équivalent d’un master de droit et de ressources humaines. Puis, avant la fusion de l’ANPE et de l’Assedic en 2008, je suis devenu adjoint d’une structure qui gérait les dossiers en back office. Et pour évoluer j’ai souhaité intégrer une agence de proximité. Je suis parti sur Annemasse comme manager où j’ai découvert la dureté des conditions de travail
Quelles sont ces difficultés ?
Avant l’inauguration, il y a un an, du nouveau bâtiment rénové, nous avions des problèmes de chauffage l’hiver et de climatisation l’été. Il y a toujours eu un problème de sous-effectif dans cette agence.
La réunification de certaines agences de Ville-la-Grand et du Perrier, a permis une augmentation des effectifs. Ainsi, la charge a pu être mieux gérée, malgré un sous-effectif structurel qui se maintient.
Comment avez-vous vécu ces années ?
Le côté positif, c’est de rendre service au public, dans un contexte parfois difficile, mais quand vous avez quelqu’un qui vous dit merci avec un grand sourire, juste car vous avez bien fait votre travail, c’est waouh.
Mais il y a une gestion de la direction de Haute-Savoie par Annecy qui est très parisienne. Et il n’y a pas les moyens nécessaires mis sur Annemasse, Cluses, Sallanches ou même sur Thonon les Bains. Ils nous demandent du chiffre, avec des objectifs pour placer les demandeurs d’emploi dans telle formation ou tel contrat et faire baisser le chômage le mois suivant. Des indicateurs, une dizaine au total, devaient être remplis tous les trimestres, avec le taux de remplissage des formations, le taux de retour à l’emploi des demandeurs. Et si la courbe n’était pas bonne, il faut se justifier et c’est gavant.
Comment voyez-vous l’évolution de Pôle emploi ?
C’est vrai, il y a de moins en moins d’accueil physique. Le dématérialisé est très demandé par tout le monde, demandeurs d’emploi y compris. Et l’évolution n’est pas terminée avec des réponses déjà au téléphone, par un dispositif d’intelligence artificielle. Aujourd’hui, quand les chômeurs reprennent une activité, les fiches de paie sont établies par la sous-traitance.
Le burnout est-il généralisé chez les agents de pôle emploi ?
C’est vrai surtout chez des gens d’un certain âge, recrutés il y a une plusieurs d’années et qui n’ont pas suivi les évolutions technologiques. Beaucoup de choses passent aujourd’hui par l’informatique, mais du côté du public, c’est bien géré, il y a des postes informatiques en libre-service en agence et des gens pour vous aider à faire vos démarches.
« Une gestion lamentable des responsables Pôle emploi de la Haute-Savoie » selon Olivier Dentant
Côté managérial, je n’ai pas ressenti un tel malaise, même si je sentais bien les désaccords de certains agents sur des décisions qui venaient du national, et la gestion lamentable des responsables de la Haute-Savoie n’arrangeait rien
Comment analyser vous ce malaise ?
Il y a des difficultés à réaliser nos missions, mais il n’y a pas de souffrance au travail organisé…
Les conditions de travail ne sont pas si mauvaises à Pôle Emploi. Par exemple, il n’y a pas d’objectifs individualisés au niveau de chaque conseiller. Comme il y a moins d’accueil physique, ceux-ci doivent répondre aux mails. D’où l’impression de pression informatique. Certains s’y opposent farouchement et sont mal dans leur métier. Mais c’est l’évolution global de la société… S’il y avait un vrai accompagnement de ces salariés ce ne serait pas si mal que cela.
6 mars 2024
Étant moi même salariée à pôle emploi, je rejoins l’analyse des collègues sur une véritable souffrance au travail pour ceux qui n’arrivent pas à prendre du recul par rapport à la politique des chiffres et des résultats à tout prix…
7 mars 2024
Bonsoir,
Vous est-il possible de nous contacter à l’adresse mail : contact@librinfo74.fr pour nous donner de plus amples précision.
Avec nos remerciements
L’équipe de rédaction