POÈME. « Je suis le peuple, la foule. » Carl Sandburg (1878-1967)
Carl Sandburg en 1958.
Je suis le peuple, la foule, la cohue, la masse.
Savez-vous que tout le gros oeuvre du monde est fait par moi ?
Je suis l’ouvrier, l’inventeur, le fabricant de la nourriture et des habits du monde.
Je suis le public qui assiste à l’histoire. Les Napoléon viennent de moi tout comme les Lincoln. Ils meurent. Après quoi j’envoie de nouveaux Napoléon et de nouveaux Lincoln.
Je suis le sol pour les graines. Je suis la prairie qui accueillera force labour. De terribles orages passent au-dessus de moi. J’oublie.
Le meilleur de moi est aspiré et gaspillé. J’oublie.
À part la Mort, tout vient à moi et me fait travailler et abandonner ce que j’ai. Et j’oublie.
Parfois je gronde, je me secoue et asperge quelques gouttelettes rouges pour que l’histoire se souvienne. Et puis-j’oublie.
Quand moi, le Peuple, j’apprendrai à me souvenir, quand moi, le Peuple, je me servirai des leçons d’hier et n’oublierai plus qui m’a volé l’année passée, qui s’est joué de moi – alors aucun orateur au monde ne dira plus ce nom: « le Peuple » avec une once de mépris dans la voix ou un sourire distant plein de dérision.
Et alors, la foule – la cohue – la masse surgira.
Extrait de « Chicago poems »
Traduction de Thierry Gillyboeuf.
Le temps des cerises 2011.
N° 1. (18/01/2017)