« Ne coûtez pas! »

Si la philosophie est la recherche de la meilleure vie possible, il va de soi que l’interrogation philosophique par excellence consiste à se demander ce qu’est le Bien.

Chaque culture se définit elle-même par une réponse à cette question. Elle dit ce  qui est bon et elle formule une morale pour inciter chacun de ses membres  à vivre en fonction de cette valeur.

On peut citer des exemples. Dans certaines civilisations anciennes, le Bien s’assimile au courage. L’homme bon est le guerrier « sans peur et sans reproche » qui affronte l’ennemi, le tue et protège ainsi son clan. Cette valeur virile est d’ailleurs loin d’avoir disparu de nos jours.

Dans la culture chrétienne le Bien se confond évidemment avec l’idéal de sainteté qui ne peut s’atteindre que par la charité à l’égard du prochain et donc par le renoncement à l’égoïsme naturel.

L’Antiquité grecque et sa continuation philosophique au XVIIIe siècle en Europe ont proposé une image politique du Bien. L’homme bon est le citoyen conscient de l’intérêt général de la société dans laquelle il vit, celui qui travaillera à instruire ses concitoyens en vue de favoriser l’égalité, la liberté et la fraternité pour tous.

On considère parfois tout simplement que « vivre bien » consiste à chercher à souffrir le moins possible et, également, à faire souffrir le moins possible  tous ceux qui nous entourent.

Mais  les choses ont changé aujourd’hui avec le développement et le triomphe du capitalisme mondialisé. Une nouvelle morale s’est imposée dans le langage quotidien de sorte que le Bien s’assimile maintenant à ce qui ne coûte pas cher.

Hé oui ! Autrefois on pensait que l’argent pouvait être un moyen pour améliorer la vie des gens et leur éviter des souffrances. Mais aujourd’hui, dans notre société moderne, c’est l’inverse. On demande aux gens d’éviter de souffrir parce que souffrir coûte cher à la collectivité et que l’argent ainsi dépensé ne pourra plus servir à grossir l’accumulation du capital, ce qui est mal.

Savez-vous ce que coûte l’alcoolisme en France aux finances publiques, déduction faite des taxes que rapportent leurs ventes ? 120 milliards d’euros par an. Ce n’est pas bien de boire.

Même chose pour le tabagisme : 120 milliards ! Donc, ne fumez pas.

Vous n’ignorez pas que tomber malade coûte une fortune à la sécurité sociale et que l’argent que vous faites perdre ainsi à la collectivité est de l’argent qui ne peut plus aller vers les profits des actionnaires. On vous le dit et on vous le répète, manger sainement, faites du sport, soyez heureux. C’est mieux.

Savez-vous que, selon CAIRN-info, les violences conjugales coûtent à la France deux milliards et demis d’euros? Cessez de vous battre.

Même le stress au travail n’est pas bon, c’est une ruine pour la finance, de 1,9 milliards à 3 milliards selon l’INRS. Il faut travailler, bien sûr, mais faire attention à sa santé.

Je ne vous parle pas du chômage, c’est une catastrophe.

Et la pauvreté ! Un vice. (Vous savez toutes les allocations qu’il faut pour empêcher les pauvres de se révolter et surtout les maintenir en état de consommer !)

Ce n’est quand même pas si difficile de suivre les injonctions de la morale moderne : travaillez (mais il faut le faire au moindre coût), consommez, payez vos impôts et maintenez-vous en bonne santé, voire, si possible, ne mourez pas ou alors juste avant de prendre votre retraite.

Il faut comprendre que tout ce qui va à l’encontre de la bonne marche du système est mauvais. Or, le système, vous le savez, consiste à faire en sorte que la richesse s’accroisse pour ceux qui la détiennent . Il ne faut pas s’y opposer sinon, bien sûr, tout le monde en pâtira.

En effet, selon la célèbre « théorie du ruissellement » développée  par de très grands docteurs en théologie libérale, plus les riches sont riches et plus les pauvres  ont de chances de profiter des conséquences de leurs dépenses somptueuses. L’industrie du luxe est l’avenir de la société, elle crée de nombreux emplois. Créer des emplois, voilà le Bien.

Bien entendu, on ne va pas demander aux milliardaires des multinationales de payer leurs impôts  comme les gens du commun. Il existe, pour eux, dans le système des « niches » et des « paradis » fiscaux pour leur permettre d’échapper aux taxes.  N’oubliez pas que l’argent ne peut aller que dans un sens, de la pauvreté vers la richesse(°). Il n’est donc pas moral que les riches payent comme les pauvres. c’est, d’ailleurs, la raison pour laquelle nos candidats de droite à l’élection présidentielle française proposent de supprimer l’ISF et de la remplacer par une augmentation de la TVA.

Finalement, nous pouvons résumer la morale contemporaine d’une façon très simple : « ne coûtez pas  ».

Ce n’est pas si difficile d’être bon !

 

 

(°) C’est ce qu’on appelle le pompage, évidemment indispensable au « ruissellement ».

Auteur: librinfo74

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