Aurélien Bernier : « La démondialisation ou le chaos. »
Voici un livre indispensable pour comprendre où nous en sommes, comment nous en sommes arrivés là et ce que nous pouvons faire pour en sortir.
D’une grande clarté et cependant de façon très précise, Aurélien Bernier(°) retrace pour nous les processus qui ont permis la prise de pouvoir des grandes puissances financières mondiales, explique leur fonctionnement pour asseoir et renforcer encore leur domination et analyse les orientations indispensables, non plus pour s’adapter, non plus pour réformer le système en espérant le rendre plus humain mais pour rompre radicalement avec un ordre mondial qui nous mène inexorablement à la guerre, au terrorisme, à la destruction de la planète, en un mot, au chaos.
Quelques extraits :
Introduction :
« S’il est nécessaire d’avoir une approche théorique sur ce sujet (démondialisation, décroissance et répartition des richesses, coopération internationale), la théorie est loin d’être suffisante. On peut en effet triturer les concepts et créer des modèles politiques aussi parfaits, sur le papier, que les modèles économiques libéraux. On peut brandir des mots-clés comme écologie ou coopération sans jamais dire ce qu’ils recouvrent réellement. Mais une alternative à l’ordre néolibéral ne sera jamais crédible si elle n’est pas concrète. J’ai donc voulu montrer pourquoi mais aussi comment articuler la démondialisations, la coopération, la décroissance et la répartition des richesses.
Ce livre n’est pas un manifeste programmatique, et n’a pas vocation à être exhaustif. Mais il n’est pas non plus hors-sol. Il vise à montrer qu’en dépit des discours officiels et de la résignation ambiante, il est possible de sortir du piège de la mondialisation néolibérale pour bâtir une alternative progressiste. À condition d’aller jusqu’au bout d’une logique de rupture. »
Le libre-échange :
« Quoi qu’il en soit, le libre-échange n’est pas seulement un moyen de conquérir de nouveaux marchés ; il devient une arme pour discipliner les classes populaires et dissuader les Etats de trop contraindre les grandes entreprises. Soumis au chantage aux délocalisations, les salariés sont priés de renoncer à leurs revendications sociales, puis contraint à accepter les régressions. Les états sont sommés de soutenir leurs entreprises dans une concurrence qui va en s’internationalisant, ce qui suppose de multiplier les cadeaux fiscaux et surtout de renoncer à toute législation sociale ou environnementale trop contraignante. »
Démondialisation:
« pour les mouvements progressistes, il est nécessaire de revenir aux sources de l’idée de démondialisation : briser la finance internationale, s’opposer à la logique du capital et développer un véritable internationalisme, Il faut également la préciser, et trouver des modalités concrètes de mise en oeuvre qui tienne compte d’une évidence : jamais le système mondial ne se réformera de lui-même. Il s’agit donc d’en sortir, de l’affronter puis de le démanteler. »
souveraineté populaire :
« Grâce à la propagande des grands médias, les classes populaires et moyennes pensent qu’il est impossible de sortir de la concurrence internationale. Il faut donc rappeler qu’un État peut faire ce qu’il veut, à deux conditions : qu’il soit suffisamment solide économiquement, politiquement, culturellement… Et qu’il soit soutenu par son peuple. Pour le meilleur ou pour le pire, il peut dénoncer n’importe quel traité, répudier des dettes, écrire la loi, exproprier des actionnaires, bâtir un nouvel ordre social, nouer de nouvelles relations avec les autres Etats. Souvent caricaturée et sujette à controverse, la démondialisations à l’avantage de nommer cette rupture possible et de redonner l’espoir du changement. »
Refuser la croissance :
« Les classes moyennes et populaires… ont assimilé cette propagande qui présente la croissance de la production commune condition à la distribution de richesse. Nous pouvons le regretter mais il serait contre-productif de ne pas en tenir compte. C’est la raison pour laquelle il n’est pas possible d’aller dans les quartiers pauvres, dans les usines, avec comme seul mot d’ordre la décroissance. Il faut tenir un discours différent, mais tout aussi clair : nous, la gauche dite radicale ou progressiste, n’avons pas besoin de la croissance économique pour améliorer la vie des classes moyennes et populaires. Refuser la croissance ne pose aucun problème, car ce n’est pas la redistribution des miettes que nous voulons organiser, mais la répartition équitable des richesses utiles. »
Néocolonialisme :
« En finir avec l’impérialisme suppose de restituer la souveraineté politique à la France d’outre-mer et de restituer la souveraineté monétaire aux 15 états africains et aux trois territoires du Pacifique qui composent encore aujourd’hui la zone franc. Ces vestiges du colonialisme bafouent la Déclaration universelle des droits de l’Homme et entravent le développement des peuples. Le retour à l’autonomie nécessitera une phase transitoire pour le transfert des compétences. Il n’empêchera pas de conserver des liens étroits, mais dans un rapport d’égal à égal, et non de dominant à dominé. Il doit certes être voulu par les populations concernées, mais on voit mal comment il pourrait en être autrement dans de telles conditions. Qui plus est, la décolonisation de la France d’outre-mer et la dissolution des deux zones franc africaines peuvent avoir une valeur d’exemple en termes de coopération. »
Conclusion :
« Tout est affaire, en définitive, de confiance dans l’humain et dans la collectivité. Je ne crois ni à la perversité originelle d’une prétendue « nature humaine », ni à la victoire totale de l’individualisme et de l’esprit de compétition, qui interdirait de repenser un nouvel ordre mondial progressiste. Il existe de façon évidente des intérêts de classe, par définition divergents, et le combat contre les forces libérales sera rude. Mais je crois que, dans leur majorité, les peuples adhéreront à un projet de sortie du capitalisme qui donnera comme perspective la paix, le bien-être et la coopération, et qui sera crédible. Je n’en ai bien sûr pas la preuve, mais personne ne détient non plus la preuve du contraire. Ce que nous savons, par contre, c’est que nous sommes condamnés au pire si nous n’essayons pas. »
(°)Aurélien Bernier est essayiste et conférencier. Il collabore régulièrement au monde diplomatique.
Dernières publications : « Désobéissons à l’Union européenne (Mille et une nuits, 2011). « Comment la mondialisation a tué l’écologie» (Mille et une nuits, 2012). « La gauche radicale et ses tabous » (seuil, 2014).