Sommes-nous responsables de la violence que nous subissons ?
On ne le dira jamais assez, « il ne faut pas faire d’amalgame » entre les terroristes se réclamant de l’Islam pour commettre leurs horreurs et, par ailleurs, la majorité des musulmans qui ne demandent qu’à vivre en paix parmi les autres.
Il est vrai que la tentation touche chacun de nous à certains moments, non seulement parce que les terroristes et les musulmans « normaux » ont en commun leurs origines et qu’ils se réclament d’une même religion, non seulement parce qu’ils partagent des coutumes et des interdits mais aussi parce qu’apparemment, comme on vient de le voir avec stupéfaction pour l’égorgement barbare du prêtre de St Etienne du Rouvray, les tueurs « radicalisés » étaient, quelques mois auparavant, des musulmans « normaux » qui ne se distinguaient pas des autres musulmans « normaux » qui font partie intégrante de la société française.
De là à dire que c’est cette société « occidentale » qui produit elle-même les monstres, il n’y a qu’un pas qui a, d’ailleurs, été franchi hier par le vicaire général de Rouen, lors de la cérémonie d’hommage au prêtre assassiné.
Et cette affirmation nous interpelle nécessairement: sommes-nous, finalement, nous-mêmes, du fait de la corruption de nos mœurs et de la violence de nos institutions, les coupables de cette inhumanité, les responsables de cette violence qui pourrait être interprétée alors comme une contre-violence réactive ?
Dans la mesure où les victimes sont nos semblables et meurent parce qu’ils nous ressemblent, dans la mesure donc où nous sommes victimes de cette haine infinie, l’avons-nous méritée ?
La société française, la culture, la civilisation occidentale sont-elles détestables à ce point que chacun de ses membres soit objet de mépris, de dégoût et de colère ?
Nous ne pouvons pas rejeter ces interrogations. Le propre même de notre éducation commune nous oblige à y réfléchir et à revenir sur notre passé colonial et sur notre présent de ségrégations et d’inégalités sociales. Il n’y a pas de doute, pour qui fait preuve d’un minimum de lucidité, que la société occidentale s’est illustrée et continue à s’illustrer par la brutalité de son impérialisme, par ses guerres, militaires et économiques et que le nombre de morts, de destructions et de misères qu’elle a pu produire n’est pas disproportionné avec les attaques qu’elle subit.
N’en déplaise à monsieur Valls, nous pouvons comprendre qu’on nous haïsse parce que nous sommes représentatifs d’une histoire dans laquelle les forts écrasent les faibles et où nous sommes du coté des forts.
Pourtant nous avons droit, nous aussi, à être protégés de l’amalgame. Il y a, chez nous aussi, des « radicalisés » et des « normaux » qui ne demandent qu’à vivre en paix avec tous les autres et, de même qu’il est injuste de confondre les musulmans avec les terroristes, il est injuste de confondre les « occidentaux » avec les impérialistes.
Nos pères, venus de tous les horizons, se sont battus pour l’égalité, la fraternité, la justice, pour l’émancipation des femmes, l’accueil des étrangers, la liberté de la presse et l’éducation gratuite pour tous.
Le peuple existe et il garde ces valeurs. En aucun cas il ne doit être confondu avec les cyniques radicalisés du néolibéralisme qui font passer leurs intérêts avant tout souci d’humanité, en aucun cas nous ne devons accepter l’amalgame.