« Je lutte donc je suis », un film engagé sur la crise en Grèce et en Espagne
Rencontre avec le philosophe et réalisateur franco-grec Yannis Youlountas
Le film « Je lutte donc je suis » questionne la capacité des individus à sortir de la résignation lorsque l’austérité règne. Ce documentaire est le second opus d’un premier volet sorti en 2013 dont le titre « ne vivons plus comme des esclaves » fut le slogan de la résistance grecque en 2010. Yannis Youlountas, réalisateur franco-grec et philosophe engagé, était présent lors de la projection à la Turbine ce lundi 21 septembre.
Dans votre premier film, vous présentiez une série d’initiatives locales qui se sont développées en Grèce pour faire face à la crise de 2010. Vous en interrogiez les acteurs au sujet des conséquences de la crise et des actions posées pour imaginer un monde meilleur.
Pourquoi une suite à ce premier film?
Il s’agissait de montrer l’existence de ces initiatives, leurs formes, leurs acteurs. Avec ces exemples, on comprend qu’il est possible de penser autrement, d’imaginer des alternatives qui fonctionnent, autour de valeurs telles que la solidarité, la communication non-violente. Mon nouveau film questionne la capacité à sortir de la résignation, il interroge les conditions qui font que l’on passe du désespoir à l’espoir, du doute à la motivation pour passer à l’acte et trouver de nouvelles solutions.
Cette fois-ci, vous êtes allés en Espagne et en Grèce pour comprendre comment les gens s’organisent dans des conditions socio-économiques très défavorables. Pouvez-vous nous parler de ce parallèle entre les situations grecque et espagnole aujourd’hui ?
Dans les deux cas, on assiste à un durcissement de l’austérité. On peut parler de véritable «catastrophe » pour la population mais aussi pour la nature qui est soumise à une marchandisation extrême. En Grèce, salaires et retraites ont subi une baisse de 50 % depuis le début de la crise. En Espagne, des familles entières sont expulsées faute de pouvoir payer leur crédit, et que dire du taux de chômage des jeunes et du taux de suicide. Ce phénomène n’a aucune raison de ne pas se produire ailleurs en Europe.
Alexis Tsipras a été réélu à la tête du gouvernement grec dimanche dernier. Il a aussi été accusé de « trahison » par une partie de ceux qui avaient voté « non » au référendum du 5 juillet. Qu’en pensez-vous ?
Beaucoup de grecs pensent qu’Alexis Tsipras fera moins de zèle dans l’application du mémorandum. On peut dire qu’il a utilisé la méthode du « vote utile » pour faire barrage à la droite. Il n’y aura pas de changement réel puisque les projets de loi doivent être visés par la Troïka. N’oublions pas que le taux d’abstention a atteint 45 %. La colère des grecs est immense contre le système politique lui- même et non contre un parti en particulier.
Réaliser des films, c’est une manière de lutter. Mais qui espérez-vous toucher?
J’ai noté une évolution des types de publics. Le premier film a attiré un public convaincu cherchant à s’informer sur les formes les plus radicales de la lutte. « Je lutte donc je suis » touche un public plus large. Il y a à la fois des personnes convaincues mais aussi des personnes qui doutent, se questionnent. L’objet du film est de questionner ce qui fait qu’on se lève et qu’on se motive à un moment donné, plutôt que de rester dans une résignation immobile. Ce deuxième film est plus philosophique et poétique, moins affirmatif que le précédent et la place des chansons et de la musique est très importante. De nombreux artistes nous soutiennent. Mes films sont un appel à la solidarité, ils sont à but non lucratif et tous les bénéfices vont à des initiatives locales.
Vous êtes actuellement en tournée en France pour présenter « je lutte donc je suis ». Comment se passe cette tournée ?
Le film est généralement très bien reçu. On refuse souvent du monde, comme lundi soir à La Turbine. C’est un problème car j’aimerais que tous ceux qui le souhaitent puissent le voir, qu’il n’y ait pas d’exclus ! Beaucoup de gens sont très émus à la fin de la projection.
Avez-vous déjà une idée de la suite, y aura-t-il un troisième film dans cette série ?
De nouvelles formes de lutte se créent en ce moment, et ce mouvement s’accélère notamment en Grèce. L’automne pourrait bien voir certains mouvements sociaux s’intensifier. Moi, je fonctionne au rythme de l’actualité sur le terrain. Ma priorité est de m’impliquer dans la lutte elle-même, avant de faire des films, parce que « rester assis, c’est se mettre à genoux ». Ma vie se partage entre actions sur le terrain et contre-information. Faire un troisième film dans la continuité des deux précédents ? Pourquoi pas, les prochains événements décideront.
Voulez-vous ajouter quelque chose, avez-vous un message particulier à partager ?
Ce qui se passe en Grèce et en Espagne, ce ne sont pas des événements isolés liés au climat local. Une enquête de l’OCDE a montré que les grecs et les espagnols sont en tête du nombre d’heures travaillées par an en Europe devant les français et les allemands. La situation en Grèce et en Espagne est liée à un durcissement de l’austérité. Or ce phénomène n’a aucune raison de ne pas se produire ailleurs en Europe. Il a fallu seulement six mois pour que cela arrive en Grèce et quelques mois plus tard, il est arrivé la même chose en Espagne. Personne n’est à l’abri.
Plus d’info : http://jeluttedoncjesuis.net/
Chloé Griot