Le problème de la laïcité.
Paradoxalement, le mot « laïc » est d’origine religieuse, il désigne, dans une communauté chrétienne, les personnes qui n’appartiennent pas au clergé.
Le mot vient du grec (laikos) et désigne celui qui fait partie du peuple (laos).
Le sens du mot a évolué dans l’histoire et, à partir du 9 décembre 1905, date de la séparation officielle de l’État et des Eglises en France, il marque l’opposition entre ce qui est religieux et ce qui ne l’est pas (l’école confessionnelle et l’école laïque, par exemple.)
En fait, en 1905, c’est l’État qui, en ce sens, devient laïque.
Dans l’Antiquité comme au Moyen Âge et dans l’ancien régime on ne conçoit pas une autorité qui ne serait pas de nature religieuse.
Le pouvoir politique lui-même est censé être attribué par Dieu à ceux qu’il a choisis pour l’exercer.
On peut parler alors de théocratie (ou pouvoir divin) et, aujourd’hui encore, nous comptons un grand nombre de ces régimes : des monarchies sont de droit divin comme l’Angleterre, mais aussi beaucoup de démocraties se fondent sur la divinité. Les États-Unis en sont un bon exemple (« In God we trust ») dont le président et tous les magistrats prêtent serment sur la Bible.
Par ailleurs de nombreux Etats musulmans ne distinguent pas la loi divine et la loi juridique et sont également dirigés par des monarques de droit religieux (Maroc) voire par des membres du clergé (Iran).
La laïcité est une notion essentiellement française et désigne donc l’indépendance de la sphère politique par rapport à toute influence venant d’une foi quelconque. Elle se fonde sur la notion de rationalité mise en valeur par les philosophes des lumières au XVIIIe siècle, à l’origine de la révolution de 1789.
On peut la définir aujourd’hui comme une valeur républicaine qui permettrait de considérer chaque individu d’abord et avant tout comme un citoyen, c’est-à-dire comme une personne égale à toutes les autres du point de vue du droit et jouissant par ailleurs de la liberté d’opinion, donc du droit à adhérer éventuellement à une religion et à la pratiquer.
Mais la pratique religieuse s’inscrit alors dans le domaine privé et non dans le domaine public.
Cette distinction est indispensable pour comprendre la notion moderne de laïcité.
Le domaine public s’entend comme l’ensemble des lieux ouverts où peuvent se rencontrer des personnes indépendamment de leurs choix (écoles, lieux de travail, hôpitaux, administration mais aussi magasins, gares, salles de spectacle et même les rues).
Le domaine privé recouvre, quant à lui, l’espace fermé où ne se rencontrent que des personnes qui l’ont choisi parce qu’elles partagent des liens de parenté, d’affinités ou des opinions et des pratiques communes. C’est l’appartement, la maison, l’église, la mosquée…
D’un autre côté, le droit démocratique ne prescrit pas la façon de s’habiller et laisse à chacun la pleine liberté de son corps, où qu’il soit, pourvu qu’il n’outrage pas la pudeur et qu’il ne cache pas son visage. Chacun a, également, le droit de manger ce qu’il veut, que ce soit par goût, par souci diététique ou par prescription religieuse.
La laïcité pose aujourd’hui problème en Europe essentiellement du fait de la présence d’une communauté musulmane de plus en plus visible. Il provient de l’interprétation de ces pratiques marginales (voile plus ou moins couvrant des femmes dans les lieux publics, prières de rues, refus de manger du porc dans les cantines…) comme des débordements du privé dans le public, c’est-à-dire comme des signes extérieurs d’une croyance à but de reconnaissance mutuelle et de rupture, par communautarisme, de la neutralité idéologique qui devrait s’imposer dans l’espace public.
Ces comportements choquent davantage dans la mesure où ils viennent d’une religion qui ne s’inscrit pas dans l’histoire du pays. Les signes extérieurs de la religion chrétienne qui font partie depuis longtemps du paysage européen attirent beaucoup moins l’attention parce que la plupart des gens qui habitent ces pays y sont habitués.
C’est ainsi que les revendications actuelles de la laïcité sont de deux sortes :
–d’une part, les tenants de la laïcité de l’État revendiquent une absence de tout signe religieux dans le domaine public. Ils demandent donc l’application stricte de la loi.
–D’autre part les partisans des grandes religions revendiquent pour les uns (les musulmans en majorité) l’égalité de traitement avec les autres cultes et donc une visibilité semblable à celle de l’Eglise et de la Synagogue. Pour les autres (les chrétiens), un droit à la visibilité par tradition et par culture (il est vrai que les églises et les cathédrales, comme les calvaires, font partie dans beaucoup de régions de France et d’Europe d’un décor très ancien.) En ce sens ils demandent tous des dérogations à la loi.
Quant à la volonté supposée de certains de confondre la loi morale d’une religion avec la loi légale de l’État, il va de soi qu’elle ne peut être recevable dans un Etat de droit et que la pratique religieuse ne peut que se subordonner à la législation, faute de quoi le contrat social qui lie l’ensemble des citoyens serait rompu.
Une approche claire de la laïcité telle qu’elle a été voulue par le législateur devrait permettre de traiter plus sainement le problème de la multiplicité des croyances dans un même territoire.
Les peurs et les rejets qui apparaissent ici et là sont les conséquences d’une dramatisation injustifiée liée à l’ignorance.
Sans renier les marques de l’histoire à dominante chrétienne de la France et de l’Europe, qui doivent être conservées comme des richesses incontestables de notre patrimoine esthétique et culturel, nous devons veiller à faire appliquer la loi et à respecter tous les cultes à condition qu’ils n’empiètent pas sur la vie publique.
Il est vrai que le mouvement actuel de la politique européenne et mondiale (le libéralisme), en réduisant le champ du public et en privilégiant outrancièrement la privatisation, gêne énormément l’exercice de la laïcité.