Progrès ou décadence ? Philosophie d’aujourd’hui. Un texte de Simon Habert.
Les progrès scientifiques et surtout techniques qui caractérisent notre époque ne se sont pas accompagnés des progrès intellectuels humains correspondants.
On peut même constater que l’homme, fasciné par ses propres réalisations, a abandonné tout effort d’amélioration de ses capacités et s’est littéralement laissé aller à la plus grande négligence sur le plan philosophique avec les effets catastrophiques qui s’ensuivent dans le domaine moral.
À la barbarie des uns s’ajoute le cynisme le plus éhonté des autres et la crédulité la plus infantile s’associe à une vanité débile. On en est arrivé au point où les religions traditionnelles, qu’on croyait depuis un moment dépassées, sont en train de devenir les seules pourvoyeuses de valeur et de règles de vie.
Les encouragements à la consommation de produits de très basse qualité (sur tous les plans, matériels et culturels) entraînent une unique différentiation entre les hommes : ceux qui ont les moyens d’acheter et ceux qui ne les ont pas ou en ont moins. En développant, cela donne la distinction entre ceux qui ont les moyens de faire travailler les autres à leur place et ceux qui sont obligés de le faire par eux-mêmes pour survivre.
Les études et les métiers ne sont plus évalués que par les pouvoirs qu’ils laissent espérer en termes de niveau de vie. La notion de distinction par le degré de culture a pratiquement perdu son sens. Une perspicacité intellectuelle qui ne se vend pas, une sensibilité esthétique qui ne se présente pas sous forme de marchandise, n’ont aucune valeur et, comme la demande de la masse ne se porte que sur des produits facilement consommables, sans effort ni préparation, tout ce qui est subtil ou profond étant, de plus, en général discret, devient radicalement méprisé.
J’espère qu’on rira plus tard des comportements incroyables de nos contemporains qui, un peu comme les chinois d’autrefois n’ayant inventé la poudre que pour fabriquer des pétards, n’ont mis au point des systèmes de répartition de grandes quantités d’énergie que pour jouer à des jeux puérils sur leurs tablettes, regarder des émissions télévisées pour handicapé mental tout en laissant envahir leur milieu de vie par leurs ordures devenues envahissantes et, plus grave, empoisonnantes.
Quelle catastrophe nous faudra-t-il pour réveiller notre attention et nous distraire de la paresse ?
Quand comprendrons-nous que la qualité de la vie dépend avant tout de la finesse de l’esprit et de la jouissance de nos facultés, de notre savoir-vivre, des relations que nous entretenons entre nous, et que l’énergie et tous les « miracles » de l’électronique, de l’informatique… ne sont que des moyens pour que nous puissions nous adonner plus librement à la culture et à la jouissance de notre humanité ?